"A vue de pied, à vue de nez"

L'exposition A vue de pied, à vue de nez qui se tient au Frac Aquitaine jusqu'au 18 avril 2015 tient toutes ses promesses. Nous voulions voir comment l'art contemporain proposait d'approcher le monde de l'archéologie, et la visite offerte par notre guide nous a judicieusement permis d'entrer au coeur de l'intentionnalité des artistes. 

L'exposition affiche son ambition : "Entre passé refoulé et souvenirs enterrés, tentatives poétiques d'interroger la mémoire". Il est bien question ici de réinterprétations, de reformulations, de visions personnelles qui mettent en scène un passé choisi et livré au regard intime du spectateur. 

Le dialogue est ouvert, les angles d'approche multiples selon les sensibilités de chacun et les résonances qui se créent en nous. Cette connivence entre art contemporain et archéologie se dévoile peu à peu à travers les techniques et les pensée des artistes, amenant naturellement le spectateur à être partie prenante de l'(H)istoire qui se joue. Car ces oeuvres feront l'archéologie de demain et nous inscrivent dans notre rôle de contemporains à la fois spectateurs et acteurs d'un art dont nous partageons la simultanéité.  

Les quatre espaces qui composent ce parcours procurent des visions différentes et complémentaires de ce dialogue entre expressions artistiques contemporaines et visions archéologiques. 

La première salle offre un lien physique direct grâce à la présence d'une base de statue antique mise au jour à Mézin et représentant les pieds d'un Jupiter présumé. La scénographie minimaliste nous évoque à la fois la vulnérabilité de ce vestige archéologique découvert fortuitement, enfoui dans un sol agricole, mais également la continuité et la solidité qui résistent au passage des siècles. Le choix de cette pièce muséale fait aussi directement écho au nom de l'exposition, "A vue de pied...", et nous parait d'autant plus appropriée. 
Autour d'elle sont disposées des photographies de Dove Allouche, artiste utilisant plusieurs techniques photographiques comme autant de moyens d'expression privilégiés propres à rendre visible des sujets souvent inobservables. En travaillant sur des fragments pétrographiques et stalagmitiques issus de laboratoires scientifiques, il nous soumet des agrandissements saisissants dont la perception change selon la distance d'observation.
Photographies de Dove Allouche et pieds de Jupiter. Photo : S. Giuliato

De loin s'impose immédiatement à nous l'idée d'une stratigraphie archéologique alors qu'au plus près de l'image la substance de la matière devient évidente, s'identifiant nettement au travers de sa densité, de ses inclusions... Je me prends au jeu de l'illusion et capture en photo la salle elle-même et le visiteur, gravant cet instant dans la stratigraphie suggérée et l'incorporant à la trame temporelle de la matière.
Déclinaison sur l'oeuvre de Dove Allouche. Photo : S. Giuliato

La seconde oeuvre, Malraux's Shoes de Dennis Adams, nous confronte à un foisonnement d'images et de discours. Ce film d'environ 43 minutes constitue une performance théâtrale et littéraire invitant le spectateur à une réflexion croisée sur le message d'André Malraux et de son "Musée imaginaire", et sur des considérations anachroniques qui viennent rebondir dans une narration captivante. 
Les séquences filmées font apparaitre l'artiste dans la peau d'un André Malraux marchant littéralement sur les photographies qu'il a élues pour composer son musée imaginaire. "A vue de nez" il observe ces sites archéologiques extra-européens qui défilent dans un ordonnancement décousu mais rationalisé, construit à la manière d'un remontage céramique, chaque partie du tout trouvant sa place pour tenter de former un ensemble cohérent. Pourtant cet ordre se défait, s'ébranle avec les cheminements de l'artiste et nous renvoie à la réversibilité de tout processus d'assemblage archéologique.  


Changement de lieu et de décor avec l'oeuvre de Pierre Leguillon La Grande Evasion 2. Cette reconstitution urbaine sur le thème du mouvement et de la danse est composé d'objets de collection (photographies, magazines, cartes postales...) agencés de telle manière qu'une découverte permanente s'opère au fur et à mesure que le spectateur se déplace. Une réflexion s'opère également sur la conservation des images du passé (notamment au travers des supports composés de boites à archives en aluminium), sur les échos que leur association peut suggérer et sur la métaphore de l'arrangement spatial.
La Grande Evasion 2. Photo : S. Giuliato

Pour s'inscrire dans une architecture régionale, l'artiste a d'ailleurs choisi d'organiser sa trame en goutte d'eau selon le tracé de la bastide de Monflanquin.
Vue aérienne de la bastide de Monflanquin, Lot-et-Garonne.

La dernière oeuvre présentée est celle de Kerstin Brätsch et Debo Eilers, Kaya Aquitaine. Sur une table transparente sont déposées diverses parties du corps moulé et démembré de leur jeune muse Kaya. Symbole du passage à l'âge adulte et de la perte de l'enfance virginale, cette composition recouverte d'un plastique lesté de sangles en cuir interroge, interpelle, dérange. Les peintures colorées, les néons clignotants et les pièces dorées frappées par la Monnaie de Paris, ajoutent à la déstabilisation : un corps donné à voir sous la transparence de son carcan, dans toute la rigidité d'une intégrité corporelle passée et figée, oscillant entre la fin d'une époque et la permanence de la vie circulant dans les vibrations colorées et la performance vidéo de Kaya qui se déroule en arrière-plan.

A vue de pied, à vue de nez s'inscrit dans le cadre du programme "Art & Archéologie" organisé par le Frac Aquitaine, le Musée d'Aquitaine, le Pôle International de la Préhistoire, Vesunna et François Loustau. L'exposition Les narrations de l'absence qui s'est ouverte le 10 février au Musée d'Aquitaine promet elle aussi un dialogue astucieux entre art contemporain et vestiges archéologiques. A suivre donc...

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